Sélectionné en compétition officielle à la 78e édition du Festival de Cannes, « L’Agent secret » du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, a entièrement été tourné au Brésil par la directrice de la photographie Evgenia Alexandrova AFC. Pour son second long-métrage avec l’ALEXA 35, Evgenia revient sur les choix esthétiques et techniques qui ont façonné ce film d’époque
Comment vous êtes-vous retrouvée sur ce projet ?
J’ai travaillé sur un film brésilien, « Heartless », de Nara Normande et Tião. Kleber l’a vu et a beaucoup aimé l’image, notamment le fait que l’on ait réussi à capter les couleurs du Brésil sans les « exotiser » – ce qu’il recherchait pour « L’Agent secret ». On s’est rencontrés, j’ai lu le scénario et j’ai adoré!
Wagner Moura interprète Marcelo Alves, l'agent secret qui donne son titre au film
Vous aviez déjà une idée du look que le réalisateur voulait pour ce film, mais justement, comment avez-vous construit cette image ?
Kleber voulait une image organique, naturelle, il ne voulait pas la forcer mais justement qu’elle accompagne la narration tout en ayant une touche vintage avec des imperfections – clin d’œil aux films d’époque car « L’Agent secret » se passe dans les années 70. Il m’a envoyé plusieurs références grâce auxquelles j’ai pu préparer en amont du tournage mon look avec Vincent Amor de chez Poly Son, et l’ai emmené avec moi sur le plateau.
Nous avons utilisé les optiques Panavision série B – elles ont des petites aberrations qui réagissent très fortement aux flares – couplées avec l’ALEXA 35. Les flares étaient très durs à contrôler, mais c’est ce que Kleber adorait : il voulait que le spectateur ressente l’artisanat du cinéma, la fabrication du film. De même, certains plans ne sont pas stabilisés, il y a de petites imperfections complètement assumées, parce que ça ajoute justement, cette touche.
Le film a été très fidèle au scénario, son découpage était très précis mais Kleber m’a laissé beaucoup de place, il avait un grand désir technique : on ajoutait des choses ou on les améliorait, mais il savait précisément ce qu’il voulait.
Une LUT développée durant la préproduction accentuait le look des années 1970, tout comme le choix d’anciennes optiques anamorphiques
Comment avez-vous procédé quant au choix du matériel ?
Tout le matériel caméra provenait de France ; lumière et machinerie étaient pris localement. Pour moi l’ALEXA 35 était une évidence – j’avais tourné avec pour la première fois sur « Les Femmes au balcon », et j’avais été impressionnée par son rendu à l’étalonnage. Pour « L’Agent secret », au vu de ce que souhaitait Kleber – une image texturée et naturelle – l’ALEXA 35 était un choix évident. Notre caméra B était une ALEXA Mini.
L'ALEXA 35 a très bien réagi ! C’est surtout sur « Les Femmes au balcon » que je m’en étais rendue compte car j’avais beaucoup de scènes en extérieur/intérieur en pleine canicule à Marseille donc très sur-exposée ou sous-exposée. J’avais été bluffée par ce qu’elle pouvait encaisser. Pour la lumière du Brésil, elle allait être parfaite.
La directrice de la photographie Evgenia Alexandrova AFC, avec l’ALEXA 35 sur un dolly, préparant l’un des nombreux travellings de la production
Vous avez évoqué des plans non stabilisés. Quels autres types de plans avez-vous réalisés ?
Kleber n’est pas très fan de l’épaule alors il n’y en a pas eu beaucoup d’autres. En revanche, il adore les travellings : on en a fait des kilomètres et des kilomètres. J’ai aussi choisi l’ALEXA 35 pour son ergonomie : c’était essentiel d’avoir une caméra compacte pour des scènes en voitures et pouvoir l’accrocher au capot ou à une portière par exemple. L’ALEXA 35 et l’ALEXA Mini était très complémentaires dans l’image. La 35 est plus nuancée grâce à sa grande plage dynamique, là où la Mini a des paliers plus marqués, avec plus de contrastes, plus de caractère. Parfois j’avoue, je préférais le rendu de la Mini.