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Evgenia Alexandrova AFC tourne « L’Agent secret » avec l’ALEXA 35

La directrice de la photographie Evgenia Alexandrova AFC révèle ses secrets de tournage sur le film de Kleber Mendonça Filho, primé du Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2025

Dec. 17, 2025

Sélectionné en compétition officielle à la 78e édition du Festival de Cannes, « L’Agent secret » du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, a entièrement été tourné au Brésil par la directrice de la photographie Evgenia Alexandrova AFC. Pour son second long-métrage avec l’ALEXA 35, Evgenia revient sur les choix esthétiques et techniques qui ont façonné ce film d’époque

Comment vous êtes-vous retrouvée sur ce projet ? 

J’ai travaillé sur un film brésilien, « Heartless », de Nara Normande et Tião. Kleber l’a vu et a beaucoup aimé l’image, notamment le fait que l’on ait réussi à capter les couleurs du Brésil sans les « exotiser » – ce qu’il recherchait pour « L’Agent secret ». On s’est rencontrés, j’ai lu le scénario et j’ai adoré!

Wagner Moura interprète Marcelo Alves, l'agent secret qui donne son titre au film

Wagner Moura interprète Marcelo Alves, l'agent secret qui donne son titre au film

Vous aviez déjà une idée du look que le réalisateur voulait pour ce film, mais justement, comment avez-vous construit cette image ? 

Kleber voulait une image organique, naturelle, il ne voulait pas la forcer mais justement qu’elle accompagne la narration tout en ayant une touche vintage avec des imperfections – clin d’œil aux films d’époque car « L’Agent secret » se passe dans les années 70. Il m’a envoyé plusieurs références grâce auxquelles j’ai pu préparer en amont du tournage mon look avec Vincent Amor de chez Poly Son, et l’ai emmené avec moi sur le plateau.

Nous avons utilisé les optiques Panavision série B – elles ont des petites aberrations qui réagissent très fortement aux flares – couplées avec l’ALEXA 35. Les flares étaient très durs à contrôler, mais c’est ce que Kleber adorait : il voulait que le spectateur ressente l’artisanat du cinéma, la fabrication du film. De même, certains plans ne sont pas stabilisés, il y a de petites imperfections complètement assumées, parce que ça ajoute justement, cette touche. 

Le film a été très fidèle au scénario, son découpage était très précis mais Kleber m’a laissé beaucoup de place, il avait un grand désir technique : on ajoutait des choses ou on les améliorait, mais il savait précisément ce qu’il voulait. 

Une LUT développée durant la préproduction accentuait le look des années 1970, tout comme le choix d’anciennes optiques anamorphiques

Une LUT développée durant la préproduction accentuait le look des années 1970, tout comme le choix d’anciennes optiques anamorphiques

Comment avez-vous procédé quant au choix du matériel ?

Tout le matériel caméra provenait de France ; lumière et machinerie étaient pris localement. Pour moi l’ALEXA 35 était une évidence – j’avais tourné avec pour la première fois sur « Les Femmes au balcon », et j’avais été impressionnée par son rendu à l’étalonnage. Pour « L’Agent secret », au vu de ce que souhaitait Kleber – une image texturée et naturelle – l’ALEXA 35 était un choix évident. Notre caméra B était une ALEXA Mini. 

L'ALEXA 35 a très bien réagi ! C’est surtout sur « Les Femmes au balcon » que je m’en étais rendue compte car j’avais beaucoup de scènes en extérieur/intérieur en pleine canicule à Marseille donc très sur-exposée ou sous-exposée. J’avais été bluffée par ce qu’elle pouvait encaisser. Pour la lumière du Brésil, elle allait être parfaite.

La directrice de la photographie Evgenia Alexandrova AFC, avec l’ALEXA 35 sur un dolly, préparant l’un des nombreux travellings de la production

La directrice de la photographie Evgenia Alexandrova AFC, avec l’ALEXA 35 sur un dolly, préparant l’un des nombreux travellings de la production

Vous avez évoqué des plans non stabilisés. Quels autres types de plans avez-vous réalisés ? 

Kleber n’est pas très fan de l’épaule alors il n’y en a pas eu beaucoup d’autres. En revanche, il adore les travellings : on en a fait des kilomètres et des kilomètres. J’ai aussi choisi l’ALEXA 35 pour son ergonomie : c’était essentiel d’avoir une caméra compacte pour des scènes en voitures et pouvoir l’accrocher au capot ou à une portière par exemple. L’ALEXA 35 et l’ALEXA Mini était très complémentaires dans l’image. La 35 est plus nuancée grâce à sa grande plage dynamique, là où la Mini a des paliers plus marqués, avec plus de contrastes, plus de caractère. Parfois j’avoue, je préférais le rendu de la Mini. 

Pour ‘L’Agent secret’, au vu de ce que souhaitait Kleber, c’est-à-dire une image texturée et naturelle, l’ALEXA 35 était un choix évident

Evgenia Alexandrova AFC

Directrice de la photographie

Aviez-vous déjà tourné en scope ? 

C’était la première fois que je tournais en anamorphique. Nous avions aussi une optique de la série L, un 100 mm, qui était assez « blurry » – on le voit sur certains plans où le point n’est pas tout à fait net mais ça participe au charme du film. Parfois, les personnages sont sur les bords et le point n’est pas sur leurs visages : j’en parlais à Kleber pour avoir son avis, c’est ce qui lui plaisait, donc on les gardait. 

Et puis, le bokeh des anamorphiques est très séduisant. 
Un de ses plans préférés est la scène de l’aéroport : il y a un plan large de profil, deux tueurs arrivent à Recife et un travelling les accompagne en latéral. Nous étions face à des fenêtres et d’énormes flares passaient sur leurs visages. Il a adoré, c’était exactement ce qu’il voulait. 

Le réalisateur Kleber Mendonça Filho a assisté à l’étalonnage pour s’assurer que les couleurs correspondaient à son souvenir du Brésil des années 1970

Le réalisateur Kleber Mendonça Filho a assisté à l’étalonnage pour s’assurer que les couleurs correspondaient à son souvenir du Brésil des années 1970

Y-a-t-il eu un challenge particulier à relever ? 

Le film entier ! C’était un gros challenge. Nous avions 10 semaines de tournage pour 180 pages de scénario donc c’était un peu la course. 
Il y a cette scène, où dans une salle de cinéma le personnage principal apprend qu’il est pris en chasse. Il voit la bande-annonce de « Le Magnifique » avec Belmondo, il sort et rejoint le carnaval. Ça a été un peu plus découpé au montage mais nous avions tourné en plan-séquence. Des rails avaient été installé dans le cinéma et sortaient par la porte latérale parce que l’idée était de sortir avec le personnage. C’était complexe techniquement pour le passage des portes car on l’accompagnait de dos, puis on le retrouvait de face. 

Ensuite, le personnage devait rejoindre le carnaval. Il y avait une centaine de figurants qui dansaient et jouaient de la musique, la caméra devait s’élever pour le perdre dans la foule. C’était une expérience magique car c’était un véritable carnaval : la musique était très forte, le rythme intense, ils jetaient de la poudre ou de la farine partout. Je perdais réellement Wagner dans cette foule et c’était mon assistante caméra qui me disait au talkie où il était. 

« Pour moi l’ALEXA 35 était une évidence » déclare la directrice de la photo

« Pour moi l’ALEXA 35 était une évidence » déclare la directrice de la photo 

Comment s’est passé l’étalonnage ? 

Nous avons eu deux sessions, une avant l’envoi à Cannes et une pour la finalisation du film. Kleber a toujours été là. Le film a été co-produit par quatre pays donc la post-production a été très lourde : le montage a été fait au Brésil, le montage son aux Pays-Bas, le mixage en France, l’étalonnage en Allemagne et les VFX en France et aux Pays-Bas. 

La seconde session d’étalonnage, avec Dirk Meier, a surtout servi à vérifier les VFX, car comme c’est un film d’époque, Kleber voulait être très précis – il a vécu à Recife et voulait recréer le Recife de l’époque. Il a donc, sur certains plans, fait changer la couleur du sol sur un pont ou les teintes des murs pour rester le plus possible fidèle à ses souvenirs. 

Par quel autre moyen avez-vous traité cette image d’époque ? 

Nous avons utilisé certaines techniques de l’époque comme la demi-bonnette, on peut le voir sur deux plans. 
Le premier est lorsque le personnage de Wagner retrouve son fils : il est au premier plan et Wagner est dans la profondeur – on voulait avoir leurs émotions à travers leurs yeux et en même temps le point sur les deux. 
Le second plan, est lorsque le tueur retrouve Wagner dans la salle d’identification : il lui fait dos, et réfléchit à comment s’enfuir. Le point est sur lui ainsi que sur le tueur en arrière-plan.  

Crédit image d'ouverture : Ligia Tiemi Sumi