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Le DP Manu Dacosse SBC pour la première fois en ALEXA 35 pour « L’Étranger »

Nommé en compétition officielle à la 82e Mostra de Venise, le réalisateur François Ozon revisite le classique d’Albert Camus « L’Étranger », tourné en ALEXA 35 par son directeur photo fétiche Manu Dacosse SBC. 

Oct. 29, 2025

Le directeur de la photographie belge Manu Dacosse SBC retrouve le réalisateur François Ozon sur un classique de la littérature française paru en 1942, « L’Étranger » d’Albert Camus. 
Manu Dacosse SBC explique le processus créatif derrière cette version noir et blanc ultra esthétique et son expérience de l’ALEXA 35 qu’il utilisait pour la première fois.

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Après une longue hésitation entre la couleur et le noir et blanc, c’est à la suite des premiers repérages que le réalisateur et le directeur photographie ont pris leur décision 

Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet ? 

François et moi, c’est une collaboration de longue date maintenant : nous travaillons ensemble depuis 2016, « L’Étranger » est notre cinquième film ensemble. Donc il m’a appelé et ça s’est fait.

En France le livre est un véritable classique que l’on étudie au lycée. À quel point vous a-t-il été utile dans la construction de l’image ? 

Je sais qu’en France, le livre est très « touchy » ; en Belgique il l’est moins, et on va dire que j’ai eu la chance d’avoir plus de distance quant à l’approche. François avait peur – et encore aujourd’hui je pense – de la manière dont le film va être perçu par rapport au livre. 
Après, je pense qu’à partir du moment où l’on fait le choix d’adapter un livre, qu’il soit grand ou petit, il faut s’en distancier et ne pas se mettre trop de pression.

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Les principales sources sur lesquelles s’est appuyé le directeur de la photographie sont le soleil et les ARRI M90 

La notion de « distance » est très présente dans la construction du récit dans le livre, comment avez-vous abordé cet aspect au niveau de la construction de l'image ? 

La première grosse question visuelle était de savoir si nous partions sur du noir et blanc ou de la couleur. Nous avons longtemps hésité, puis à la suite des premiers repérages et à de nombreuses discussions on a décidé de partir sur du noir et blanc. On trouvait ça plus juste du point de vue artistique, vis-à-vis du livre et du sujet.
Pour ce qui est de la distance, ce que je retenais vraiment du livre c’est la luminosité : le soleil est extrêmement présent, du coup j’ai beaucoup travaillé les lumières. Quant à l’approche, on voulait être très proche du personnage : on a donc utilisé beaucoup de grands angles, en étant très proche de Benjamin [Voisin] pour avoir justement ce côté « immersif ».

Je ne pourrais plus repasser à la Mini !

Manu Dacosse SBC

Directeur de la photographie

Quelles ont été vos inspirations ? 

François avait pour inspiration « Ida » (Pawel Pawlikowski) pour le framing car c’est très statique. La série « Ripley » (Steven Zaillian) était une énorme référence commune : on a adoré le noir et blanc et les plans.
Il y avait aussi « La Liste de Schindler » (Steven Spielberg), mais plutôt d’un point de vue lumière, avec mon chef électro. C’est un film dans lequel il y a plein d’idées, il est très contrasté – trop pour François – mais je m’en suis inspiré parce que c’est un film très noir, avec une image très blanche, des lumières très dures : c’est ce à quoi nous voulions nous rapprocher pour « L’Étranger ».

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Manu Dacosse SBC a dû changer de LUT au cours du tournage 

C’était donc votre première fois avec l’ALEXA 35, comment ça s’est passé ? 

Eh bien, c’était difficile ! Mais dans le bon sens du terme. Elle est très différente de l’ALEXA Mini que j’utilise beaucoup : maintenant, je ne pourrais plus repasser à la Mini ! 
L’ALEXA 35 offre tellement de dynamique. Elle a beaucoup progressé dans les basses lumières, mais surtout dans les hautes, c’est assez impressionnant. J’ai dû adopter une autre approche de travail : avec la Mini, je sous-exposais d’un diaph ; là avec l’ALEXA 35, je la surexposais. Je m’en suis rendu compte pendant le tournage, en fait. J’avais beaucoup de marge dans les hautes lumières, donc au fur et à mesure du tournage j’ai créé une nouvelle LUT qui surexposait et contrastait un peu plus afin de profiter pleinement du signal dans les hautes lumières. 
Je passais pas mal de temps avec la seconde assistante caméra, Victoire Bonin, sur l’ordinateur à regarder les rushs et à travailler sur le signal, pour voir ce que je pouvais faire avec ma courbe. C’est vraiment une super caméra ! Mais ce qui est difficile, je trouve, c’est qu’il y a tellement d’infos en basses comme en hautes qu’il faut vraiment faire des choix et créer une LUT « dédiée ».

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Le directeur de la photographie et son gaffer se sont inspirés de « La Liste de Schindler » pour son image très blanche, au service d’un sujet très sombre 

Le soleil que ce soit dans le livre ou dans le film, est quelque part un personnage à part entière. L’ALEXA 35 a-t-il été un choix déterminant ? 

Complètement ! Au début je pensais le faire en Mini, mais comme on voulait travailler avec du soleil dans l’image, l’ALEXA 35 était beaucoup plus adaptée. 
C’est-à-dire qu’avec l’ALEXA 35 je ne me préoccupe beaucoup moins des hautes lumières que lorsque je suis en Mini. En Mini j’expose vraiment plus pour mes hautes lumières ; ici bizarrement, j’exposais davantage pour mes ombres, et quand j’ai changé de LUT je réexposais plus « normalement ».

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Benjamin Voisin poussait le directeur de la photographie à utiliser des lumières plus dures sans diffusion 

Comment avez-vous géré les scènes de nuit et la lumière de manière générale avec le noir et blanc ?

Ce que j’ai bien aimé avec le noir et blanc, c’est que comparé à la couleur, on peut travailler la lumière de manière différente : c’est-à-dire en employant des lumières beaucoup plus dures et des sources beaucoup plus grandes. Même Benjamin me poussait à ça : normalement, on met une petite diff pour que ce soit plus beau et plus doux sur les visages, mais ici tout était en lumière dure. 
Nos principales sources étaient évidemment le soleil et les ARRI M90. Pour la scène du procès par exemple, il y a eu une grosse installation avec plein de projecteurs, mais l’idée était de tirer profit du soleil au maximum. 
Avec François, je travaille beaucoup plus la lumière que sur mes autres films.
Comme je ne cadre pas – parce qu’il le fait – je suis plus derrière le moniteur et je peux voir plus vite où ma lumière doit être. Je peux venir avec plus de propositions, comme pour des effets de chaleur ou des compositions, choix  de lumières…C’est une autre approche de travail.

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« J’ai dû adopter une autre approche de travail : avec la Mini, je sous-exposais dans le diaph ; là avec l’ALEXA 35, je la surexposais. » explique Manu Dacosse SBC 

Quelle a été la scène la plus challengeante ?

Pour ceux qui connaissent le livre, c’est la scène du meurtre. 
On a fait beaucoup d’effets : ralentis, plans drones, effets de chaleur. On a essayé de trouver un langage, en fait. Pour l’effet d’ondulation de chaleur, l’accessoiriste marocain avait comme technique de mettre du sable sur un plateau, verser de l’alcool dessus et allumer le tout. Résultat : ça faisait un petit feu qu’on plaçait près de l’objectif. 
Comme je pouvais m’appuyer sur la caméra et n’avais pas à me tracasser pour les hautes lumières, j’ai beaucoup plus pu aller dans le côté conceptuel.

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Le tournage s’est fait au Maroc, entre Tanger, Casablanca, et Marrakech 

Y-a-t-il eu y a eu sur le plateau quelque chose de différent par rapport aux autres tournages ? 

D’habitude, sur les films de François, je tourne souvent à Paris, et je suis le seul à être à l’hôtel parce que tout le monde rentre chez soi après le tournage. Ici, c’était plus convivial : comme nous avons tourné au Maroc, on était tous dans le même hôtel, donc on prenait plus le temps de se connaître les uns les autres. 
Et puis, il y a eu un bon mélange entre les différentes équipes marocaines et françaises. 
Ça peut vite devenir compliqué quand on arrive dans un pays, parce que le pays a ses règles et le pays qui vient veut imposer les siennes, mais dans l’ensemble ça s’est très bien passé.

Photo d’ouverture : Copyright © Leonidas Arvanitis