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Mar. 22, 2023

DP Patrick Ghiringhelli tourne « La Nuit du 12 » en ALEXA Mini LF

Sur « La Nuit du 12 », le directeur de la photographie Patrick Ghiringhelli s'est appuyé sur l’ALEXA Mini LF et les optiques ARRI Master Anamorphiques.

Mar. 22, 2023

Couronné par six César, dont celui de Meilleur film, « La Nuit du 12 » de Dominik Moll est un superbe polar qui suit le long et fastidieux travail des enquêteurs de la Police Judiciaire (PJ) de Grenoble. Nommé dans la catégorie Meilleure photographie, le chef opérateur Patrick Ghiringhelli revient sur ses choix techniques et esthétiques pour construire l’image épurée de ce film subtil, pour lequel il s’est appuyé sur l’ALEXA Mini LF et les ARRI Master Anamorphiques. 

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Bastien Bouillon et Bouli Lanners, couronné respectivement du César de meilleur espoir masculin et meilleur acteur dans un second rôle

Comment avez-vous abordé le projet de « La Nuit du 12 » avec Dominik Moll ?

C’est la troisième fois que je tourne avec Dominik. Nous avons travaillé ensemble une première fois sur « Eden », une mini-série sur les migrants pour Arte. Nous avons ensuite enchaîné « Seules les bêtes » et, plus tard, « La Nuit du 12 ». Il y a une certaine habitude de compréhension qui s’est installée entre nous, une confiance de sa part sur mon travail. Parmi les références visuelles, Dominik m’a proposé de revoir les films de l’espagnol Rodrigo Sorogoyen, notamment « El Reino », « Que Dios nos perdone » et la série « Antidisturbios ». Tous les deux, nous aimons beaucoup le travail de ce réalisateur espagnol, notamment son utilisation assez marquée du grand-angle, qui apporte du réalisme et, en même temps, stylise l’image. Il n’a pas peur d’employer des courtes focales à la limite de la déformation. Cela nous intéressait beaucoup, notamment pour le décor du commissariat, qui était assez exigu. La vraie difficulté pour moi sur « La Nuit du 12 », c’était de faire un policier sans tomber dans le type d’images habituelles pour ce genre de film. Je voulais rendre l’histoire visuellement intéressante, avec une image travaillée, tout en restant juste. Il fallait être réaliste, avec en même temps un léger décalage dans la proposition. Après il y a des décors très beaux et des paysages de montagne magnifiques qui participent beaucoup à l’image du film.

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Patrick Ghiringhelli : « Je voulais rendre l’histoire visuellement intéressante, avec une image travaillée, tout en restant juste »

Le film baigne dans une lumière solaire éblouissante. Comment avez-vous géré cela au niveau du tournage ?

Nous avons eu beaucoup de chance avec la météo. Cela contribue beaucoup à la photographie du film. Quand Dominik m’a envoyé le scénario, j’étais en vacances en Savoie d’où sont originaires mes grands-parents. Comme il avait indiqué les lieux de tournage, repérés sur Google Street View, je me suis rendu sur place. Je suis tombé près de Saint-Jean-de-Maurienne avec un temps gris, sous la pluie, de la neige encore dans l’herbe. Il y avait une ambiance très forte qui semblait aller avec le scénario. En fait, c’est tout l'inverse qui s’est produit. Nous avons tourné en octobre et c’était l’été indien dans les Alpes, avec du soleil tout le temps. Du coup, on s’est adapté pour en profiter au maximum. J’ai eu une collaboration géniale avec Thierry Verrier, le 1er assistant de Dominik, qui, dans la mesure du possible, changeait le plan de travail de façon à caler le tournage des scènes en fonction de la météo, des axes caméras. On déplaçait des séquences entre le matin et le soir pour profiter du soleil, qui disparaissait vite derrière les montagnes pour réapparaître un peu plus tard dans la journée. C’était assez compliqué à gérer. Nous avons fait aussi un gros travail de repérage, en nous appuyant sur l’application Sun Seeker qui permet de savoir quand arrive le soleil à tel endroit à tel moment. La séquence dans la cantine illuminée de soleil, à la Edward Hopper, a été tournée comme cela, sans lumière additionnelle autre qu’un peu de réflexion. Nous avons filmé en fin d’après-midi, avec le soleil en contre. 30 secondes après avoir fini le dernier plan large, le soleil se cachait derrière la montagne. La mise en scène de Dominik, la beauté du décor, le talent des comédiens et la réactivité de toute l’équipe ont permis de créer un moment de grâce comme celui-là. 

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La séquence dans la cantine illuminée de soleil a été tournée sans lumière additionnelle autre qu’un peu de réflexion

Pourquoi avoir tourné « La Nuit du 12 » avec l'ALEXA Mini LF et les optiques ARRI Master Anamorphiques ?

Choisir le matériel est toujours une étape importante. Entre la caméra et l’optique, cela donne une vraie identité au film. Et j’aime bien impliquer le réalisateur dans ce choix. Comme nous avions tourné « Seules les bêtes » et la série « Eden » en ALEXA Mini avec Dominik, l’idée était de rester dans cette continuité, mais avec une caméra un peu plus performante comme la ALEXA Mini LF. J’ai convié le réalisateur chez ARRI France pour pouvoir comparer différentes optiques. Les Master Anamorphiques nous ont tout de suite plu. Ils fonctionnaient bien avec la Mini LF. On a plus de champ avec la même valeur de focale. Cela nous permettait de tourner au 35mm tout en ayant le champ d’un 28mm. C’est très intéressant. On gagne presque une focale de cette façon. Cela allait dans le sens que nous souhaitions avec Dominik Moll de tourner au grand-angle, dans l’esprit des films de Rodrigo Sorogoyen. 

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Le réalisateur Dominik Moll et le directeur photo Patrick Ghiringhelli avec l’ALEXA Mini LF à l’épaule

« La Nuit du 12 » a été tourné au format 1:85. Pourtant, vous avez travaillé avec les Master Anamorphiques. Pourquoi ce choix inhabituel ?

Avec Dominik, nous avions déjà fait « Seules les bêtes » en 2:35 et je pensais qu’il allait vouloir continuer dans ce format. Mais dès la préparation de « La Nuit du 12 », il avait ce souhait de faire le film en 1:85. Comme nous tournions dans des vallées encaissées, ce format plus en hauteur nous permettait d’inscrire la pointe des montagnes dans l’image. Ce qui aurait été plus compliqué avec un format large. Le fait de tourner en 1:85 avec des optiques scope, c’est un peu mes bidouilles à moi. J’aimais bien le look des Master Anamorphiques. Il y avait cette idée de matière dans l’image. Je trouvais qu’elles fonctionnaient bien avec le capteur de l’ALEXA Mini LF que nous avons utilisé surtout dans la hauteur. Avec le 1:85, tout le vignettage du scope sur les côtés reste en dehors du cadre. Le choix d’une optique, ce sont des sensations, un feeling au niveau de l’image. Je ne saurais pas très bien l’expliquer. On essaie et puis on voit si ça marche. Dans le même esprit, j’ai exposé la caméra à 1600 ISO pour avoir plus de matière dans l’image.

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« Il y a une certaine habitude de compréhension qui s’est installée entre nous » déclare le directeur photo à propos du réalisateur Dominik Moll

Les scènes au commissariat sont aussi très réussies. Comment les avez-vous travaillées ?

Nous avons tourné les scènes de la PJ en région parisienne durant les deux dernières semaines de tournage. Le décor avait été aménagé au premier étage d’un bâtiment à Ivry-sur-Seine. L’équipe déco a fait un travail formidable mais c’était un peu compliqué pour l’équipe image. Nous n’avions pas le droit d’installer une tour ou des nacelles dans la cour pour ne pas bloquer l’accès à des activités professionnelles au rez-de-chaussée. Nous avons utilisé le toit plat du bâtiment pour construire une structure en déport qui couvrait le premier étage sur une vingtaine de mètres. Le chef électro Virgile Reboul y a notamment installé des projecteurs motorisés qu’il contrôlait depuis une tablette. Cela nous permettait d’ajuster rapidement la lumière, en panotant les projecteurs, soit pour faire rentrer un rayon de soleil ou pour créer quelque chose de plus large. Pendant la mise en place des comédiens, nous pouvions faire de la lumière sans gêner personne et être prêt à tourner rapidement dans la foulée. Tout le reste du film a été fait en décor naturel. Sur les scènes de nuit, dans la rue où a lieu l'assassinat, j’avais fait installer des lampadaires supplémentaires récupérés auprès de la mairie. Nous les avons équipés avec des floods de 500W dimables, pilotables depuis une tablette. L’idée était de mettre en place une lumière praticable et après de rééclairer certains endroits précis, en faisant des taches de lumière pour faire ressortir ou masquer tel ou tel personnage. Ce qui est bien avec Dominik Moll, c’est qu’on se laisse porter par l’histoire. J’essaie d’être au plus proche de ce qu’il raconte, sans avoir besoin de rajouter trop d’artifices.

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Les scène dans le commissariat ont été tournées durant les deux dernières semaines de tournage